L’effort de guerre soviétique est accompagné d’une intense propagande destinée à mobiliser les soldats et les populations ; celle-ci repose très souvent sur la présence de témoins et de rescapés d'atrocités. Dès 1942, la Direction du cinéma documentaire recommande l'utilisation d'histoires particulières et une scénarisation intégrant des vues en plans resserrés sur les visages permettant de lire les émotions et de générer de l'empathie.
Paradoxalement, la place des témoins dans les films montés reste très limitée. Recueillis dans des conditions précaires et souvent en l'absence de matériel d'enregistrement sonore, les témoignages ukrainiens, polonais, lettons ou allemands sont généralement retranscrits sur papier, ce qui règle du même coup la question de leur traduction.
Si elle hante la propagande de guerre, la figure du témoin et du rescapé est avant tout utilisée comme une preuve à charge lors des procès.
Le choix des témoins
Le choix des témoins médiatisés n’est pas fortuit. Il correspond à un cahier des charges assez précis qu’il est possible de reconstituer en comparant la liste de tous les témoins entendus, les rushes ayant servi aux réalisateurs et à la version aboutie des films. La question – très importante – du son synchrone n’est pas non plus laissée au hasard. Enfin, les évocations de la Shoah disparaissent des films achevés, et les rares allusions à celle-ci sont réservées aux aveux des accusés.
La figure du témoin et du rescapé, constamment citée par la Commission extraordinaire et souvent photographiée, hante la propagande de guerre et la représentation ultérieure du conflit. Or, de 1941 à 1945, le défaut de matériel prive de son les rushes conservés dans les archives : à l’écran, les témoins et les victimes parlent sur les lieux mêmes des massacres, mais on ne peut pas les entendre. Quand l’équipement permet d’enregistrer, les opérateurs se heurtent au manque de maîtrise de l’exercice ou aux émotions incontrôlées des interrogés.
Le rôle de la TchéGuéKa
La collecte des témoignages est organisée par la Commission extraordinaire d'État dont le nom complet est
Commission extraordinaire d'État, chargée de l'instruction et de l'établissement des crimes des envahisseurs allemands-fascistes et de leurs complices et des dommages causés par eux aux citoyens, aux kolkhozes, aux associations de citoyens, aux entreprises publiques et aux institutions de l'URSS (en abrégé : TchéGuéKa). Celle-ci se décline en une foule de commissions républicaines et régionales, composées des élites locales : membres du Parti, de la police politique, de médecins, de prêtres, d’instituteurs, etc. qui, souvent eux-mêmes témoins des massacres, cosignent les rapports locaux d'enquête. Dotée de larges prérogatives, la TchéGuéKa ordonne et mène les enquêtes sur les crimes commis, et a pour tâche de chiffrer les préjudices subis. Son rôle consiste parallèlement à construire une mémoire de la guerre et à associer l’ensemble des populations des territoires libérés à la dénonciation des crimes nazis. Les résultats des différentes enquêtes constitueront la base juridique pour les procès soviétiques de 1943 jusqu’aux années 1960.
Au cours de la guerre, 27 communiqués et plus de 50 000 rapports de la Commission extraordinaire sont publiés sous forme d’articles de presse et de brochures traduites notamment en anglais. La médiatisation est donc au cœur du travail de la TchéGuéKa.